Hitting Syria: 28 october 2008 |
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Attaque américaine en Syrie : des forces hors contrôle ?La lettre de léosthène, le 1er novembre 2008, n° 435/2008 --------------------------------------------------------------------- Auteur : Hélène Nouaille “ Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ”. Charte des Nations Unies, Chapitre I, article 2 (1) “ Les gens sur place sont unanimes sur le fait que les hommes tués étaient tous des civils : des maçons qui avaient juste fini de poser les fondations d’une nouvelle maison, ainsi qu’un gardien de nuit ”. Ainsi témoigne Paul Wood, qui s’est rendu pour la BBC (2) dans le village d’Al Soukkayira, province d’Abou Kamal en Syrie, à quelques kilomètres de la frontière irakienne, après le raid américain du 26 octobre dernier. Associated Press nous donne le nom de l’une des victimes, Abdallah Fayssal. France 24 livre des images amateur des hélicoptères en vol (3). Il y a huit morts civils, dont un père et ses quatre fils et quatorze blessés, mais “ de l’homme sensé être la cible de l’opération, Abou Ghadiya, il n’est fait aucune mention ”. Dans un premier temps, Washington se refuse à tout commentaire. Puis, sous couvert d’anonymat, un “ responsable ” confie à l’agence France Presse que “ l’attaque était dirigée contre Abou Ghadiya ”, présenté comme “ l’un des facilitateurs les plus importants de la région pour les combattants étrangers ” (4) - facilitateur dont, toujours d’après la BBC, al Caïda a annoncé la mort en novembre 2004, quelque part sur la frontière irako saoudienne après l’offensive de Falloudja (5). Et les informations, contradictoires et invérifiables, de se succéder. Laissons donc ici la polémique pour examiner les faits. Dans une région bouleversée par la guerre en Irak, il est avéré que les pays voisins ne pouvaient éviter d’être impliqués. Nous remarquions dès 2005 que la porosité des frontières, aussi bien avec la Jordanie (anciennes routes des caravanes) qu’avec l’Arabie Séoudite ou la Syrie autorisait aussi bien le passage des hommes que des armes, souci majeur de l’armée américaine, dont la présence a attiré à foison des combattants étrangers à l’Irak, diversement appréciés et utilisés au fil du temps et des alliances par les Irakiens eux-mêmes. Mais, nous dit Farrah Hassen pour Foreign Policy in Focus (6) environ “ 10000 hommes des troupes syriennes patrouillent le long de la frontière irakienne. Nombre d’entre eux, qui surveillaient précédemment la frontière israélienne, ont été transférés à l’Est en réponse à la demande américaine ”, ce que confirmait la National Intelligence Estimate américaine d’août 2007. “ Et juste en décembre dernier ”, continue Farrah Hassen, “ le général David Petraeus, commandant en chef des forces américaines en Irak, reconnaissait la coopération syrienne dans l’amélioration de la sécurité à la frontière. Le mois dernier, selon Al Djezeera, le président irakien Jalal Talabani disait à Bush que la Syrie et l’Iran “ ne posaient plus de problèmes à la sécurité irakienne ”. Personne ne dit que l’Irak est devenu un sanctuaire ni qu’aucune frontière ne soit étanche, ce qui n’est pas physiquement possible. Les troupes américaines en ont fait l’expérience. Mais la situation aux frontières est stable – et une question de fond se pose donc : pourquoi cette attaque hors du droit et pourquoi maintenant ? “ C'est une véritable opération de guerre que l'armée américaine a lancé dimanche contre le village syrien d'Al-Soukkariya, intervenant pour la première fois de l'autre côté de la frontière syro irakienne. Le raid héliporté visait un bâtiment supposé abriter des combattants étrangers en partance pour l'Irak. Il n'est pas sans rappeler ceux que l'US Army mène régulièrement, sur son second théâtre d'opération, l'Afghanistan, lorsqu'elle intervient dans les zones tribales pakistanaises contre les bases arrière des talibans ” commente le Temps helvétique (7). Justement : la similitude des opérations donne à réfléchir. S’agit-il, hors de toute règle de droit international, d’une inflexion politique délibérée ? Le Wall Street Journal nous donne une partie de la réponse, dans un éditorial du 28 octobre dernier (8) : “ Après cinq ans et six mois pendant lesquels la Syrie a été un complice actif de la rébellion en Irak, les Etats-Unis ont finalement riposté. Il appartiendra aux historiens de mesurer combien le cours de la guerre en Iraq eût été différent si le président Bush avait agit plus tôt (...). Les faucons de l’administration ont insisté pour une action plus musclée, incluant des frappes de missiles Predator sur les terroristes cachés en Syrie. Mais la CIA et d’autres favorisaient les liens avec les renseignement syriens (...) ”. Et de conclure : “ Il y a dans les fautes de l’administration Bush une leçon pour le prochain président, particulièrement si c’est Barak Obama. (...) M. Obama a promis d’entreprendre des discussions diplomatiques avec la Syrie comme partie d’un effort général pour mettre fin au conflit en Irak. S’il veut vraiment mettre un terme plus vite à la guerre, il doit reprendre les choses au point où l’administration Bush les a maintenant laissées ”. Mais c’est probablement John Bolton, néoconservateur qui fut ambassadeur à l’ONU de 2005 à 2006, qui exprime le mieux les raisons du comportement américain au Pakistan et en Syrie : l’ONU n’est qu’un “ musée de cire (...). Hormis les agences onusiennes spécialisées efficaces comme l'UIT ou l'OMPI à Genève, des organes politiques comme l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité ne fonctionnent pas. La première est totalement superflue et le second complètement paralysé (...). Aujourd'hui, les Nations unies jouent un rôle totalement marginal dans la lutte contre le terrorisme et la prolifération nucléaire ainsi que contre les armes chimiques et biologiques ”. Préférez-vous dès lors un petit club, celui des démocraties tel que le suggère Robert Kagan ? lui demande Stéphane Bussard, qui l’interroge pour le Temps (9), le 23 octobre dernier, au siège du temple du néoconservatisme, l’American Enterprise institute. “ C'est une alternative positive à l'ONU, une concurrence qui pourrait lui être profitable. Mais je ne me fais pas d'illusions. Les pays européens n'adhéreront pas à cette ligue des démocraties. On pourrait, en revanche, suivre la suggestion de l'ex-premier ministre espagnol José Maria Aznar de faire de l'OTAN une organisation globale qui comprendrait aussi le Japon, l'Australie, Israël, Singapour et éventuellement d'autres pays. L'intérêt ? Cette organisation aurait des capacités militaires ”. On reconnaît là la proposition, formalisée à Riga, de transformation de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord en gendarme du monde sous la conduite américaine. Pour vous, demande encore Stéphane Bussard, le droit international n’a donc aucun intérêt ? : “ C'est une idée européenne plus qu'autre chose qu'on essaie de promouvoir au sein de l'ONU. C'est éloigné de la réalité et cela n'a aucun avenir ”. Justement, l’Europe a réagi avec une extrême mesure au raid américain en Syrie. La France, qui s’est exprimée nettement, fait part de sa “ vive préoccupation et déplore la perte de civils syriens, dont des enfants ”. Elle “ appelle à la retenue et souligne son attachement au strict respect de l’intégrité territoriale des Etats ” (Reuters) - ce qu’elle n’a pas fait pour le Pakistan. Xavier Solana, le Haut représentant de l’UE pour la politique étrangère, s'est dit “ préoccupé par le raid aérien qui a eu lieu en Syrie et qui a causé la mort de civils ”, comme la Russie qui appelle au respect de la souveraineté des Etats. D’une façon générale, la communauté internationale s’élève sans tapage mais sans ambiguïté contre le raid américain, de la Chine à la Ligue arabe, de l’Egypte au Liban – et d’autres jusqu’en Irak, après hésitation (10). Certains analystes spécialisés s’efforcent de comprendre la genèse de l’opération, qui n’est pas impromptue, remarquent-ils, puisque que les Américains avaient demandé à l’Arabie Séoudite et à la Jordanie de fermer leurs frontières, soulignent que les forces spéciales impliquées répondent à une chaîne de commandement particulière, concluent que l’ordre n’a pu être donné que du plus haut niveau à la Maison Blanche. Pour “ aider ” McCain si la Syrie avait réagi brutalement ? Mais les Syriens ne l’ont pas fait, s’adressant précisément à l’ONU en lieu et place du recours à la violence et gérant diplomatiquement la crise sans provoquer d’escalade malgré le mouvement de protestation de la rue syrienne qui a contraint l’ambassade US à Damas à fermer temporairement ses portes – ce qui n’a rien d’extravagant, soyons de bon sens. Si l’on élargit la perspective, on voit bien qu’un certain nombre de prises de position américaines se crispent, depuis les diatribes anti russes à l’insistance renouvelée d’élargissement de l’OTAN à la Géorgie et à l’Ukraine malgré l’opposition formulée par certains européens (Allemagne par exemple), jusqu’aux Balkans – présence au Kosovo, avertissements de Richard Holbrooke (conseiller d’Obama) à la Bosnie où la situation se dégrade rapidement – et à l’Afghanistan, où les frappes sur le territoire pakistanais dans les zones tribales riveraines se multiplient malgré les pertes civiles et la montée des tensions au Pakistan. Pour ne pas parler des déclarations tonitruantes du général Obering, patron de l’US Missile Defense, sur le maintien quoi qu’il arrive du programme de bouclier anti missile installé en Pologne. Tout se passe comme si ceux que le Wall Street Journal “ Aujourd'hui, je le reconnais, il y a une fracture manifeste au sein du vaste mouvement républicain conservateur. Parmi ceux qui se réclament du néo-conservatisme, certains ne jugent pas prioritaire la propagation de la démocratie. D'autres au contraire la jugent fondamentale ” explique John Bolton. Ce qui est “juste” pour cette fraction influente des néoconservateurs – qu’on retrouve aussi chez les démocrates – c’est la “ propagation de la démocratie ” dans un certain cadre : “ Les néo-conservateurs sont wilsoniens pour ce qui est de leur adhésion à l'idéalisme démocratique, mais ils ne le sont pas dans la mesure où ils n'acceptent pas que la politique étrangère américaine soit en partie façonnée par des organisations internationales et les Nations unies ”. Et cette faction craint, avec quelques raisons, à la fois l’arrivée d’un président démocrate qui paraît disposé, avec les mêmes objectifs, à changer de méthode, la réduction annoncée des dépenses militaires, justifiable en période de récession (le député démocrate Barney Franck parle d’un quart du budget), et la reprise en main de l’énorme administration militaro industrielle américaine. John McCain, qui déplore le désordre régnant au Pentagone, serait d’ailleurs confronté aux mêmes difficultés et ses décisions pourraient, comme il l’a montré par son passé d’homme libre, surprendre. Alors, peut-on parler de forces hors contrôle qui se livreraient, hors droit international, à des dérapages ? Il semblerait plutôt qu’une logique arrive à son terme, celle d’une certaine “mission” américaine dans le monde, vision largement partagée aux Etats-Unis, peut-être inconsciemment, et qui s’exaspère pour certains quand elle échoue à s’imposer, confrontée à la réalité du monde et à ses propres limites. On ne sait pas aujourd’hui comment l’un ou l’autre des candidats à la présidentielle résoudront ce qui est une interrogation profonde et déstructurante, de fait une crise existentielle, dont rien n’a été dit dans la campagne – le pouvaient-ils ? L’un et l’autre cependant devront y répondre très vite, parce qu’il est inimaginable de soutenir que le droit international - une idée européenne plus qu'autre chose qu'on essaie de promouvoir au sein de l'ONU - ne soit qu’un concept éloigné de la réalité et sans aucun avenir - sans provoquer dans le monde un immense désordre, le pire. Les prémices en sont visibles au Pakistan, puissance nucléaire – et ici en Syrie. Damas a réagi avec prudence et sagesse : qu’en sera-t-il ailleurs, s’il devait y avoir une autre fois ? --------------------------------------------------------------------- En accès libre n° 85/2005 Irak : les urnes en treillis --------------------------------------------------------------------- Carte Localisation du raid américain en Syrie : --------------------------------------------------------------------- Notes(1) Charte des Nations Unies, Chapitre I, article 2 --------------------------------------------------------------------- Léosthène, Siret 453 066 961 00013 FRANCE APE 221E ISSN 1768-3289. |
Last Updated on Monday, 28 September 2015 13:45 |